23th MAI – 1st JUNE
22 MAI VERNISSAGE – 18h00 / 1 JUIN FINISSAGE
Abbaye de la Cambre
À la surface
Cécile Vandernoot
Architecte
« Écrire : essayer méticuleusement de retenir quelque chose, de faire survivre quelque chose : arracher quelques bribes précises au vide qui se creuse, laisser, quelque part, un sillon, une trace, une marque ou quelques signes. »[1]
Georges Perec
Couchées sur le papier par le pinceau, les marques que trace Kiran Katara sont laissées libres d’interprétations. Encrer une surface d’une écriture universelle parce qu’imaginaire, c’est un protocole qu’elle adopte depuis ses premiers dessins, une méthode poursuivie par l’architecte qui s’extrait des contingences fonctionnelles et formelles de la composition pour créer sans contrainte. C’est encore le jeu de l’enfant qui s’applique à former des volutes ressemblant aux lettres qu’écrivait son grand-père.
L’écriture abstraite, la portée musicale libérée, les sillons qui parsèment ce territoire peint que l’on veut voir, que l’on veut lire, titille tout esprit analytique qui cherche une graphie, un air ou un terrain connus. Il n’y aurait pas d’évidence ni de valeur sémantique aux signes et traits déposés. Ces encres sur papier, ces notations à la plume ou au pinceau accompagnent un acte quotidien qui se produit sans règle apparente. Il donne au geste de l’artiste la voie libre. Les références pluriculturelles, inscrites au plus profond de l’artiste, sont constituantes du geste et agissent telle une mélodie murmurée qui guide la main.
À la simplicité du geste participe l’économie des moyens. L’artiste n’a que peu d’outils : deux pinceaux, un troisième depuis peu de temps. Elle utilise majoritairement une encre noire, d’une qualité remarquable. Avec le temps, le support a évolué. Elle qui a commencé par utiliser des toiles travaille, pour le moment, sur des papiers anciens. Les formats quant à eux varient considérablement, passant de la dimension d’un registre architectural où ses tableaux se font fenêtres à celle de la carte postale où son écriture se fait fine et intime. Dans ces spatialités s’inscrivent des traces écrites, des trésors botaniques, des lois mathématiques : toutes sortes de marques différenciées par l’outil, mises à distance ou, au contraire, vibrantes par leur proximité. On pourra les classer sans doute, y trouver une signification peut-être mais il n’y aura pas de réponse définitive.
Un temps, il y a eu frénésie, obsession de remplir presque entièrement la surface de la toile. De gauche à droite, de droite à gauche et puis du centre dans un mouvement centrifuge. Une part de vide, l’expression concrète du support, reste toujours apparente et est essentielle dans la pratique de l’artiste. Quand elle utilisait la toile comme support, ce dernier commençait d’ailleurs à vivre avant le tableau lui-même lors de l’application de l’apprêt. Il est resté tout aussi primordial avec le support papier. Quand les noirs sont particulièrement prégnants notamment, la part de vide équilibre leur densité. Ainsi le laissé blanc du support lévite, il se fait léger non pas pour atténuer la profondeur du noir mais le contrebalancer, placer un espace comme un partenaire avec lequel la peinture pourrait entamer une contredanse. Il arrive aussi parfois que la peinture ne s’applique pas uniformément car l’artiste, par choix, ne la dilue jamais. La trace alors perçue est inconstante car asséchée, un effleurement de la surface, ce qui porte le terme délicat de blanc volant.
Sautant de signe en signe, l’œil attentif reconnaîtra qu’il a besoin d’une pause, du souffle qu’apporte une surface laissée vierge. Ainsi se construit l’écriture de Kiran Katara, rythmiquement, de trace en trace, de dessin en dessin.
[1] G. Perec, Espèces d’espaces, Paris, Éditions Galilée (1974) 2000, p.180.